1. Des flancs de la Montagne Pelée en Martinique aux îles de l’Océan Indien et aux villes brésiliennes du Minas Gerais : naissance d’une vocation.
Tout commence en 1985 lors de sa rencontre avec le célèbre volcanologue Haroun Tazieff, puis en Martinique, où le jeune géologue Éric Leroi cartographie des versants instables de l’île avant de rejoindre le BRGM dont il dirigera bientôt le département « Risques naturels ». Il eut entre temps une expérience enrichissante dans la construction d’un grand barrage en terre en tant que directeur adjoint du chantier, ingénieur sécurité et responsable du laboratoire géotechnique de contrôle où il innovera déjà avec des outils et des méthodes d’analyse depuis lors généralisés en France.
Cette immersion de terrain l’amène vite à plusieurs constats et à une approche de travail qui deviendra sa marque de fabrique : l’action opérationnelle sur le terrain et la prise de décision doivent impérativement s’adosser à l’excellence scientifique, à l’innovation, à l’audace, à l’équilibre entre protection et développement et au pragmatisme ; l’expertise doit par ailleurs reposer sur des données précises, géolocalisés, mises à jour, accessibles en temps réel et surtout exhaustives, et non statistiques. Une expertise trop peu nombreuse qui ne peut à elle seule résoudre les problèmes du monde, et qui doit s’appuyer sur le capteur le plus puissant qui existe, la population, ainsi que sur des outils numériques puissants mais accessibles à tous.
2. Faire école : normes, lignes directrices et formation
En 1997, à 34 ans, à la demande du Professeur Robin Fell, il intègre un collège d’experts internationaux pour rédiger à Hawaï un ouvrage de synthèse sur le risque mouvements de terrain. En 2008, toujours aux côtés de Robin Fell et au sein du Joint Technical Committee 1 (IAEG-ISRM-ISSMGE), il cosigne les Guidelines for Landslide Susceptibility, Hazard and Risk Zoning – texte de référence qui uniformise la cartographie du risque de mouvements de terrain dans plus de 40 pays.
Grace sa double compétence, il développe des approches intégrées Aménagement et Risques pour aider les collectivités locales à gérer la difficile « cohabitation » PLU-PPR : en 2006, il rédige pour le compte du Ministère de l’Environnement plus de 25 monographies sur les bons exemples de prise en compte des risques naturels dans l’aménagement du territoire, ainsi qu’un guide sur l’urbanisme de risque – inondations, mouvements de terrain séismes pour le compte du Ministère de l’Urbanisme en 2009.
3. De la recherche européenne à l’action sur le terrain et à Qriska
Eric Leroi participe dans le cadre de ses différentes fonctions et au sein de plusieurs structures parapubliques puis privées à 11 projets de recherche européens, sans discontinuer de 1994 à 2023 (Phusicos, Risk, Change, Safeland, TCLM, Frane, Oilos,Debris, Landslides & Mudflows, Life, Hycosi), et comme coordonnateur pour le projet Hycosi. La science, l’excellence, les équipes internationales sont son ADN. Mais il est avant tout ingénieur, et la science comme la recherche doivent être déclinées en outils et méthodologies opérationnels, au service des gestionnaires des territoires et des populations, en France et dans le monde.
C’est ce qui l’a conduit à concevoir plus de 20 outils numériques et à développer des méthodologies intégrées Aménagement & Risques, dont la plateforme Qriska, aboutissement de plus de 15 années de recherche et développement, un logiciel primé en 2021 lors des Trophées E-Py comme meilleure innovation numérique de l’année.
4. Océan Indien : coordonner la réponse régionale de 5 Petits Etats Insulaires en développement (SIDS)
En 2011, puis de 2012 à 2014, la Commission de l’Océan Indien lui confie l’assistance à maitrise d’ouvrage pour la mise en œuvre du projet « Risques Naturels : approche institutionnelle et opérationnelle » sur financement de l’AFD. Il s’agit de structurer et de mettre en place des actions coordonnées entre les cinq pays Comores, Madagascar, Maurice, Réunion et Seychelles, depuis des approches stratégiques en matière de politiques publiques, et de coordination des Protections Civiles jusqu’à des approches concrètes sur le terrain en matière d’éco-constructions résilientes.
Cette coordinations multiculturelles et pluridisciplinaires a été l’occasion de tester les premiers prototypes de ce qui allait devenir la plateforme Qriska, en mobilisant drone, SIG et techniciens des protections civiles. L’ile de Mohéli est complètement couverte avec un niveau de connaissance alors inégalé permettant de définir des actions concrètes de réduction des risques.
5. Afrique de l’Ouest : évaluation quantitative des risques
Il mène sur financements propres et sur financements de la Banque mondiale deux études majeures sur l’évaluation quantitative des risques naturels, tant à Abidjan en milieu urbain qu’à Grand Lahou, territoire exposé à des risques multiples d’érosion du littoral, d’inondation et de mouvements de terrain. Les approches, mobilisant les populations et les outils innovants qu’il a conçus et développés avec ses collaborateurs, précurseurs de la plateforme Qriska, ont abouti à des résultants remarquables : une connaissance exhaustive inégalée des territoires et des risques, une mobilisation sans équivalent des populations locales, une formation de jeunes des villages qui ont ensuite assuré le travail opérationnel, un simulateur numérique puissant qui a permis de légitimer et de mettre en œuvre un projet de grande ampleur de réduction des risques. Des approches similaires avaient été initiées au Mali pour le compte de l’Unicef et au Bénin pour le compte de l’AFD.
6. Nature-Based Solutions : l’expérience PHUSICOS
De 2019 à 2023, il accompagne le démonstrateur pyrénéen du projet H2020 PHUSICOS, où des digues végétalisées et des terrasses boisées réduisent l’aléa rocheux tout en régénérant la biodiversité. Il y promeut des sites expérimentaux de chutes de blocs pour mieux dimensionner les ouvrages de protection, et participe à des Living Labs, alliant collectivités, forestiers et assureurs à la même table pour quantifier le retour sur investissement des solutions fondées sur la nature, et valoriser les ressources locales des territoires.
7. Du terrain au numérique : la genèse de Qriska
Toutes ces expériences ont bâti et renforcé ses convictions : la gestion des risques et des territoires doit s’appuyer sur des approches scientifiques rigoureuses et de haut niveau, sur des outils à la fois accessibles à tous, mais également puissants et flexibles, ainsi que sur la mobilisation des acteurs locaux et des populations.
Les concepts de « Risques » et de « Résilience » pourtant utilisés par beaucoup, restent encore aujourd’hui confus, mal compris et mal utilisés, y compris pour et par de nombreux experts. Eric Leroi travaille depuis plus de 30 ans sur ces concepts et son expertise est reconnue à ce sujet au niveau international. Au-delà des questions sémantiques, les erreurs associées à ces concepts conduisent à de mauvaises décisions en matière de réduction des risques et de gestion des territoires.
L’expertise internationale, institutionnelle ou privée, ne pourra seule apporter de réponse satisfaisante à la protection des populations et des biens, à la sauvegarde de l’environnement, au développement équilibré des territoires ; elle n’est pas assez nombreuse, elle est trop lente. Il est fondamental de mobiliser les acteurs locaux (maires et techniciens territoriaux) ainsi que les populations. Ces dernières le demandent d’ailleurs ! Elles sont les sentinelles de leurs territoires, territoires qu’elles connaissent mieux que personne, territoires qu’elles subissent parfois, territoires qui les font vivre avant tout. Dès lors que des outils adaptés leur sont mis à disposition, et notamment des outils numériques, elles apporteront une aide précieuse.
Les smartphones et les applications numériques font partie de la culture des nouvelles générations, comme en témoignent les réseaux sociaux. Les pays en voie de développement, jadis défavorisés, rivalisent désormais avec les pays les plus avancés ; ils sont passés directement aux nouveaux outils de communication et il y a là beaucoup à mobiliser, beaucoup à gagner.
Qriska est née de tous ces constats, de ces atouts que représentent les populations, de ces progrès technologiques sans cesse renouvelés, une plateforme de collecte, de transmission et de partage de l’information en temps réel, une information géolocalisée qui peut désormais être exhaustive. Elle transfert le pouvoir des états en matière de connaissance statistique vers le niveau local et les populations, pour une connaissance plus fine, plus rapide à acquérir et à actualiser, une information territorialisée en cohérence avec les besoins de chacun. C’est une très bonne chose ; c’est une révolution majeure. On peut espérer que des plans d’actions opérationnels viennent enfin compléter des stratégies générales restées sans suites concrètes sur le terrain.
La plateforme Qriska est autant une performance technique, qu’une ambition sociétale et humaine. Elle rebat les cartes en matière de connaissance, de gouvernance, de gestion des territoires et de réduction des risques. Il était temps !
Une plateforme qui s’oriente désormais vers l’IA.